Culture Territoire et patrimoine
L’aventure humaine a peut-être 500 000 ans d'histoire dans le territoire aujourd'hui représenté par le département du Tarn : c’est l’âge des premiers outils de la préhistoire, au confluent du Tarn et de l’Agout, sur les premières terrasses.
Au paléolithique, la présence de chasseurs néandertaliens venus chercher des silex dans les calcaires de la Vère est nette. Dans les marnes de Fonvialane, de Rivières ou de Gaillac, on a trouvé des restes de mammouths et d’un entelodon, probables gibiers de traque.
Au paléolithique, les grottes du causse de Labruguière servent d’abris durant les périodes froides. Vers - 12 000, les Vénus de la Magdeleine et les peintures du Travers de Janoye à Penne d’Albigeois représentent le premier art pariétal.
Au néolithique, le Tarn se couvre de mégalithes (130 selon Jean Lautier, dont 32 statues menhirs, dans les Monts de Lacaune). Vers - 800 apparaissent les sites perchés (oppidum) à Berniquaut, Montans, en Grésigne, et les nécropoles. Celle de Gourjade, tout près de Castres, recèle 400 tombes.
Le Tarn est ouvert au commerce avec l’Atlantique : les Gaulois (Ruthènes, Volques) exploitent le fer d’Ambialet, le cuivre de Trébas, peut-être l’or, selon Pline l’Ancien. Le Tarn se trouve sur les marges de la conquête romaine. Il commerce avec la Narbonnaise, les amphores italiques de Berniquaut le prouvent, mais la turbulence des Ruthènes en fait une zone peu sûre. La « pacification » et l’annexion datent probablement de César (- 51).
À la fin du IVe siècle, la « cité des Albigeois » apparaît dans la liste des provinces. Selon Broens, la romanisation est plus marquée à l’ouest que dans l’est tarnais, plus montagneux. Montans est le haut lieu de la présence romaine. Ses 47 fours en font l’un des grands centres de la céramique sigillée de la Gaule méridionale : 400 potiers y travaillent et diffusent sur toute la façade atlantique, de l’Espagne à l’Angleterre. Le Tarn, qui désigne la rivière, évoque peut-être Taranis, le dieu gaulois. Les invasions barbares, dont le grand médiéviste albigeois Jean-Louis Biget conteste le nom (elles ne sont ni massives, ni très brutales), ne bouleversent pas le cadre gallo-romain. La famille des Didier-Salvi, qui donne deux saints (Salvi, évêque d’Albi, et Didier) illustre ces nouvelles alliances entre Gallo-Romains et Francs. Saint Didier, richissime trésorier de Dagobert, préfigure cette caste de grands commis méridionaux. La toponymie s’enrichit de désinences wisigothiques (Giroussens, Mézens…).
Le christianisme s’implante au IVe siècle et, en 614, Hauterive (près de Castres), reçoit le premier monastère bénédictin de Gaule. Au VIIe siècle, Sainte-Sigolène, à Lagrave, est la première communauté moniale. Les abbayes donnent naissance à des villes, entre 950 et 1100 : Castres, Gaillac, Lavaur, Sorèze…
Au XIIe siècle, le Tarn connaît une « cour d’amour » à Burlats où Adélaïde, fille du comte de Toulouse, protège les troubadours. La croisade des Albigeois mérite-t-elle son nom ? Les Cathares étaient peu nombreux dans le diocèse, mais c’est à Lombers (1165) qu’échoue le concile et à Albi la mission de la dernière chance de Saint Dominique. L’hérétique est donc « l’Albigeois », on ne parlera de Cathares qu’au XIXe siècle. Opportuniste, Albi ouvre ses portes à Simon de Montfort. Saint- arcel est détruit, Lavaur résiste derrière dame Guiraude, suppliciée avec 400 hérétiques. Le traité de Paris (1229) intègre le comté dans le royaume.
Le XIIIe siècle est celui des bastides et des villes neuves, Cordes (1222), Lisle-sur-Tarn, Réalmont, Pampelonne, une quarantaine au total. À Albi, l’évêque inquisiteur Bernard de Castanet lance le chantier de la cathédrale, forteresse de briques qui signe la victoire de l’Église sur l’hérésie. Les travaux durent de 1282 à 1365. L’art religieux et civil atteint son apogée au Xve siècle. Louis d’Amboise, prince, diplomate, évêque, commande le jubé de Sainte-Cécile et la mise au tombeau de Combefa. L’or bleu du pastel fait naître des hôtels renaissance, surtout à Albi (hôtel Reynes).
La religion réformée s’implante dans le sud, autour de Castres et sa montagne. Le Tarn a sa Saint-Barthélemy (1572), 12 protestants sont jetés dans la rivière à Albi, 80 égorgés à Gaillac et les églises romanes du sud sont détruites. Henri IV, allant à Paris, fait étape à Castres pour réconcilier les adversaires. Le sud tarnais garde à Ferrières la mémoire du premier protestantisme méridional. Après 1570, le déclin du pastel est compensé par la culture du blé dans le Lauragais, par la montée du textile au sud, alors que commencent à être exploités les filons charbonniers de Carmaux. Le Tarn est déjà industrieux.
Le département, créé en 1790, sans véritable conflit de tracé, traverse la Révolution sans l’influencer. Si quatre députés votent la mort du roi, quatre préfèrent le sursis ou le bannissement. Département médian, il fait déjà figure de modéré et ne compte que douze exécutions pendant la Terreur. La période avive une rivalité durable entre Castres et Albi pour le chef-lieu. Castres, plus peuplée et patriote, l’emporte d’abord, mais Albi prend sa revanche définitive en 1797. L’antagonisme se manifestera dans les choix politiques. Le nord évoluera vers les idées libérales, républicaines et socialistes. Le sud demeurera longtemps un bastion conservateur, même si l’école de Sorèze, dirigée jusqu’en 1861 par Lacordaire, représente, avec son enseignement des langues vivantes, des sciences et la pratique du sport, un exemple de modernité pédagogique.
Si le Sud-Ouest manque sa révolution industrielle, le Tarn y entre de plain pied avec ses deux bassins : au nord, Carmaux (mineurs) et Saint-Juéry (sidérurgistes) ; au sud, le Castrais (textile) et Mazamet (délainage, dès 1850). Avec les usines, vient le temps des luttes sociales. Jaurès est élu député en janvier 1893, contre le marquis de Solages, propriétaire des mines de Carmaux. Le Tarn, dans ses rues et places, garde au cœur la plus grande voix, la plus belle plume du socialisme français. Il reste, avec le peintre Toulouse-Lautrec, le Tarnais le plus connu. Son assassinat, en juillet 1914, en fait le martyr de la paix. Aimé dans le milieu ouvrier, qui lui doit la loi sur les accidents du travail, comme dans les campagnes (premières retraites paysannes), dans le sud où il est né et dans le nord qui l’a élu, Jaurès, initiateur de la première coopérative ouvrière – la Verrerie Ouvrière d’Albi (Verrerie d’Albi aujourd’hui, mais qui garde son sigle VOA) – est le grand Tarnais consensuel de l’époque contemporaine. Le département lui doit un long ancrage à gauche.
Le Tarn fut saigné à blanc en 1914-1918 (10 715 tués, soit 3,4 % de la population). Durant la dernière guerre, il a été le théâtre d’une résistance active (Grésigne, Montagne Noire et Monts de Lacaune). Il s’est libéré lui-même, provoquant, à Castres, la capitulation de 4000 soldats allemands.
Sa situation de contact favorisait le passage, mais le Tarn fut aussi accueillant aux Français d’autres départements ou régions (Aveyronnais, rapatriés d’Afrique du Nord, Bretons, Picards…) et aux étrangers, qui vinrent s’y installer. Jusqu’en 1914, ces derniers étaient encore peu nombreux (1072 en 1906). Mais à partir de 1921, l’essor des industries extractives attire Espagnols, Italiens et Polonais. Après la Libération, les étrangers représentent environ 18000 personnes. Par le jeu des naturalisations et des mariages mixtes, on estime à 15 % les Tarnais possédant un ascendant étranger (le plus souvent espagnol ou italien). En 1989, près de 80 nationalités pour un total de 15964 étrangers, étaient représentées dans le Tarn, dont 3 742 Portugais, les plus nombreux et les plus organisés dans le milieu associatif avec leurs groupes folkloriques (Juventude portuguesa de Castres) et leurs clubs de football (Benfica de Graulhet). Département pluriel, tolérant, le Tarn est aussi entreprenant, à l’image de Pierre Fabre, créateur des laboratoires qui portent son nom, ou de ces protestants mazamétains sillonnant l’Australie et la Pampa argentine en quête des meilleures peaux lainées du monde.
Héritier des combats syndicaux de la révolution industrielle et de ses valeurs jaurésiennes, le Tarn exprime avec passion en 1947, en 1963 avec les mineurs de Carmaux, en 1968 le « choix des travailleurs ». Ancré à gauche au nord, il épouse au sud les mouvements politiques nationaux. Cette fidélité du bassin minier au socialisme décide François Mitterrand à lancer sa campagne à Carmaux, en 1980, au pied de la statue de Jaurès. Et au soir de sa vie et de son second mandat, elle le pousse à revenir encore, une dernière fois, tenir meeting dans cette salle de la Verrerie, habitée par l’éloquence du grand tribun tarnais.