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LA HOUILLE ET LE BLÉ

« La petite République », 31 Juillet 1901, extraits

« Au pied des gerbiers dorés qui attendent la visite prochaine de la batteuse, les paysans apportent quelques blocs de houille luisante et noire. C’est le charbon qui demain fera aller la machine. Ainsi, c’est par la houille, par le grand moteur de l’industrie que s’achève maintenant le cycle du blé. C’est une association d’images et de forces toute neuve. Il y a quelques années, le charbon évoquait à l’esprit ou les grandes gares sonores, ou les vastes usines closes, trépidantes et poussiéreuses. Le voilà aujourd’hui qui mêle son éclat souterrain et sombre à la splendeur ouverte des moissons que dora le grand espace clair. Demain, il fera haleter la machine en pleine nature recueillie, et l’ombre de sa fumée inquiète passera sur les prés à croissance lente, où les forces de la vie travaillent silencieusement. En cette houille s’était emmagasinée, depuis des siècles, la chaleur solaire. Ainsi, tandis que le soleil des jours présents mûrit les épis de blé, c’est le soleil des jours lointains ranimé par le génie de l’homme qui aide le paysan à séparer le grain de la paille.

Mais n’est-ce pas l’homme aussi qui crée le blé ? Les productions que l’on appelle naturelles ne sont pas pour la plupart – du moins celles qui servent aux besoins de l’homme – l’œuvre spontanée de la nature. Ni le blé ni la vigne n’existaient avant que quelques hommes, les plus grands des génies inconnus, aient sélectionné et éduqué lentement quelque graminée ou quelque cep sauvage. C’est l’homme qui a deviné dans je ne sais quelle pauvre graine tremblant au vent des prairies le trésor futur du froment. C’est l’homme qui a obligé la sève de la terre à condenser sa plus fine et savoureuse substance dans le grain de blé, ou à gonfler le grain de raisin. Les hommes oublieux opposent aujourd’hui ce qu’ils appellent le vin naturel au vin artificiel, les créations de la nature aux combinaisons de la chimie. Il n’y a pas de vin naturel ; il n’y a pas de froment naturel. Le pain et le vin sont un produit de génie de l’homme. La nature 

elle-même est un merveilleux artifice humain. […]

La houille est près du grenier. Que la science soit près du moissonneur. L’âme de feu de l’industrie est entrée dans le travail du paysan, que l’ardente pensée du progrès, âme de feu de l’histoire humaine, entre aussi dans son cerveau. »